Djibouti, l’interview sur mesure de Jeune Afrique
POLITIQUERÉGIONS


Séance de complaisance et confidences sur mesure dans le boudoir des réseaux françafricains
Il y a des interviews qui éclairent, d'autres qui amusent, et certaines qui révèlent tout… sans rien dire. Celle d’Ismaïl Omar Guelleh (IOG), livrée avec le confort feutré d’un entretien à Jeune Afrique, appartient sans doute à cette dernière catégorie : une conversation à huis clos entre deux vieux amis de la Françafrique, où les angles sont soigneusement limés, les silences éloquents, et les petites phrases calibrées pour la postérité — ou pour les bailleurs de fonds. Dans ces entretiens au goût de café tiède on parle de tout… sauf de ce qui fâche.
À la plume, François Soudan. L’indéboulonnable rédacteur en chef du magazine Jeune Afrique, converti depuis des années en biographe non officiel de plusieurs autocrates africains. Un journaliste qui, à force de tutoyer les palais présidentiels, a confondu la distance critique avec le confort diplomatique. Chez lui, pas d'esprit critique, mais des gants blancs et du cirage : on polit l’image du chef comme on repeint une façade en ruine. IOG évoque le tribalisme, l’islamisme, la diplomatie, et tout ce qu’il faut pour cocher les cases — en jonglant habilement entre contradictions et faux-semblants, pourvu que le rideau reste levé.
Tribalisme ? Un mal imaginaire, voyons !
Guelleh s’émeut d’un classement ethnique publié par un obscur économiste, Slim Feriani, qu’il juge « déplacé ». Il oublie de mentionner que cette grille de lecture tribale est le carburant même du regime djiboutien: nominations selon l’appartenance clanique, concours biaisés, budgets répartis à la tête du sang… L’État djiboutien est un patchwork tribalo-politique soigneusement entretenu par le haut, mais chut… pas de vague dans Jeune Afrique.
Mais que pouvait-on attendre d’autre d’un entretien dans Jeune Afrique, ce magazine fondé par Béchir Ben Yahmed qui, sous ses airs panafricains, est depuis longtemps l’attaché de presse officieux des présidents inamovibles ? Les dictatures y trouvent une oreille bienveillante, un vernis de respectabilité et, surtout, un canal de communication chic pour rassurer Paris, Pékin et Washington. En échange ? Disons simplement que les lignes éditoriales ne se nourrissent pas que d’idéal démocratique.
Économie, géopolitique et autosatisfaction
À l’international, IOG joue au grand stratège. Il observe les Houthis, surveille l’Éthiopie, consulte les bailleurs. Il déclare qu’il n’est pas question d’une base militaire éthiopienne à Djibouti. Du moins… « pour l’instant ». Comme toujours, à Djibouti, les décisions importantes tiennent dans un soupir, un clin d’œil ou une ellipse.
Côté économie ? « Tout va bien », jure le président. Le chômage ? « Une illusion statistique ». La pauvreté ? « Moins grave qu’on le dit ». Le travail informel ? « Une chance, finalement ». En deux phrases, la misère devient un choix de vie, l’informalité une politique, et l’injustice un malentendu.
L’alternance, ce gros mot
Quand vient la question de la succession, Guelleh sourit. Pas de débat, pas d’urgence. « On verra », dit-il. Traduction : le pouvoir, c’est moi, et on en reparle quand j’en déciderai. Pendant ce temps, la Constitution reste une brochure décorative et les institutions des figurants dans une pièce où le metteur en scène n’a pas changé depuis 1999.
Silences complices et angles morts soigneusement contournés
Dans son style bien rodé, François Soudan a opté pour la diplomatie de velours : pas de vague, pas de froissage, et surtout pas de questions gênantes. Aucun mot donc sur les frappes de drones à Siyyaru, les violences communautaires à PK12 ou à Warabaleh, ni sur les licenciements ethniquement ciblés dans la fonction publique.
Et surtout, pas une ligne sur l’ingérence active de Djibouti dans le conflit qui oppose Afars et Somalis en Éthiopie. Car derrière la façade de neutralité diplomatique, le régime soutient depuis des années, en coulisses mais de plus en plus visiblement, les milices somaliennes engagées contre les Afars.
Jeune Afrique, fidèle à son rôle d’attaché de presse présidentiel, préfère les questions molles et les formules suaves. On caresse l’ego, on évite les nœuds. Et le lecteur, lui, repart avec une impression : tout est sous contrôle. Sauf la réalité.
La République vitrine, et ses coulisses lépreuses
Mais à quoi bon s’indigner ? Djibouti n’est pas une démocratie, c’est une plateforme logistique. Un concept stratégique. Tant que les ports sont profonds, les bases pleines et les contrats juteux, peu importe si l’intérieur du pays ressemble à un champ de ruines sociales. L’Occident détourne les yeux. Et Jeune Afrique passe le chiffon.
Pendant que le président disserte géopolitique entre deux gorgées d’eau tiède, les quartiers de Balbala, d’Arhiba ou du Quartier 7 survivent à coups de délestages électriques, d’eau saumâtre, de petits boulots sans droits, et de rêves d’un visa pour l’Ailleurs.
Mais tout va bien, dit le Président.
Et Jeune Afrique d’ajouter : “Merci, Excellence, pour votre franchise.”