La nouvelle proposition de Djibouti à l'Ethiopie : Un enjeu stratégique sous haute tension

ÉCONOMIE

9/1/20243 min read

Le 30 août 2024, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahmoud Ali Youssouf, a une nouvelle fois fait parler de lui sur la scène régionale en accordant une interview à la BBC. Lors de cet échange, il a annoncé une proposition majeure : offrir à l'Éthiopie la gestion à 100 % du port de Tadjourah, situé dans le nord de Djibouti. Cette déclaration a immédiatement déclenché une vague de réactions et d'interprétations diverses, aussi bien à Djibouti qu'à l'international.

Une ouverture stratégique pour l'Éthiopie

Dans son interview, Mahmoud Ali Youssouf a précisé que le port de Tadjourah, déjà relié à un nouveau corridor routier, se trouve à seulement 100 kilomètres de la frontière éthiopienne. "L'accès à la mer pour l'Éthiopie ne posera donc pas de problème", a-t-il affirmé. Ce geste, en apparence généreux, s'inscrit dans la lignée des efforts du président djiboutien Ismaël Omar Guelleh pour apaiser les tensions dans la région. Djibouti, déjà principal fournisseur d'accès maritime pour l'Éthiopie, semble vouloir renforcer cette relation en cédant un de ses ports à son voisin enclavé.

Un double discours ?

Cette initiative, cependant, soulève des interrogations sur les véritables motivations de Djibouti. Mahmoud Ali Youssouf a justifié cette offre en la présentant comme une contribution à la paix régionale, rappelant que Djibouti a déjà proposé d'aider à faciliter le dialogue entre la Somalie et l'Éthiopie pour mettre fin à l'escalade des tensions. Pourtant, cette posture altruiste contraste avec la ferme opposition de Djibouti à l'idée que le Somaliland cède un port et un corridor routier à l'Éthiopie. Une telle contradiction amène à se demander si cette offre ne cache pas des enjeux financiers bien plus importants.

Les intérêts économiques en jeu

Derrière cette proposition, se dessine en effet une réalité économique cruciale pour Djibouti. L'Éthiopie, qui a diversifié ses accès portuaires en investissant dans d'autres infrastructures régionales, notamment à Berbera au Somaliland et à Port Soudan, semble vouloir réduire sa dépendance au port de Djibouti. Ce scénario est perçu comme une menace par le gouvernement djiboutien, qui tire des revenus substantiels des transactions commerciales avec l'Éthiopie – estimés à plus de 2 milliards de dollars par an. La cession du port de Tadjourah apparaît ainsi comme une tentative désespérée de maintenir cette manne financière et d'empêcher l'Éthiopie de se tourner vers d'autres options.

Réactions mitigées en Éthiopie

Reste à savoir comment l'Éthiopie accueillera cette offre. Les premiers retours en provenance d'Addis-Abeba ne sont pas entièrement positifs. L'Éthiopie ne cherche pas seulement un accès au port, mais un accès maritime sécurisé et durable, conforme aux accords signés avec le Somaliland. Ces accords, notamment un Memorandum of Understanding (MoU) avec Hargeisa, prévoient non seulement un corridor maritime de 20 kilomètres, mais aussi la construction d'une marine pour protéger les intérêts commerciaux éthiopiens en haute mer – une demande que Djibouti a jusqu'ici refusée.

Pour l'Éthiopie, l'enjeu dépasse donc la simple gestion d'un port. Il s'agit de sa sécurité nationale, qu'elle entend renforcer par la création d'une marine et d'une armée puissantes. La proposition djiboutienne, bien qu'intéressante sur le plan économique, pourrait ne pas répondre à ces ambitions stratégiques, laissant planer le doute sur la possibilité d'un accord entre les deux pays.

Une initiative sous le signe de l'incertitude

La proposition de Djibouti de céder le port de Tadjourah à l'Éthiopie s'inscrit dans un contexte régional complexe, où les enjeux économiques et sécuritaires sont étroitement liés. Si cette offre pourrait renforcer les liens entre les deux nations, elle soulève également des questions sur la souveraineté de Djibouti et la capacité de l'Éthiopie à obtenir les garanties de sécurité qu'elle recherche. Les prochains mois seront décisifs pour déterminer si cette initiative aboutira à un accord mutuellement bénéfique ou si elle restera une simple déclaration d'intention, sans suite concrète.