Guelleh prépare la relève : un Zakaria peut en cacher un autre

À Djibouti, la République prend des airs de monarchie militaire. Pendant que le peuple regarde ailleurs, distrait par les discours de stabilité et les grands travaux financés à crédit, dans les casernes, on orchestre la relève. Et pas n’importe laquelle. Le général Taher Ali Mohamed, pourtant formé à l’École de guerre de Paris et successeur pressenti à la tête des Forces armées djiboutiennes (FAD), vient d’être mis à la retraite sans tambour ni clairon. Place nette pour un nom bien connu : Zakaria, version junior.

Un colonel tombé du ciel… ou plutôt d’un salon présidentiel

Promu colonel en juillet 2023Ibrahim Zakaria Cheik Ibrahim n’a pas encore eu le temps d’user ses galons que déjà, les tambours du pouvoir battent pour lui. Fils du général Zakaria Cheikh Ibrahim, actuel chef d’état-major — dont les décorations sont si nombreuses pour si peu d’action qu’on soupçonne le ministère de la Défense de récompenser l’inaction stratégique -, le colonel Ibrahim Zakaria est décrit par certains comme un officier « prometteur », par d’autres comme un héritier parachuté. Son ascension fulgurante, ses missions de représentation à l’international, et son avenir cousu de fil doré laissent peu de place au doute : Djibouti s’apprête à vivre une succession militaire à la tchadienne.

Une armée de clones… ou de clans ?

Ce scénario, sorti tout droit du manuel des républiques familiales, rappelle furieusement le Tchad de 2021, lorsque Mahamat Idriss Déby prit les rênes de l’État après la mort de son père, avec la bénédiction des armes et le silence complice de Paris. À Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, semble vouloir s’inspirer de la même partition, en troquant l’uniforme de son fidèle général Zakaria père contre celui du fils. Ce n’est plus une passation de pouvoir, c’est une dynastie en treillis, tissée de loyautés familiales plus que de mérites militaires.

La République, version test ADN

Il faut dire que le président Guelleh, expert en immobilisme créatif, n’a jamais été très friand de compétition. Plutôt que de s’embêter avec des cadres compétents ou des officiers méritants, il préfère les successions sécurisées. Et quoi de plus sûr qu’un rejeton militaire élevé au lait du galon ? La France avait validé le modèle Deby au Tchad, alors pourquoi se priver d’un remake version mer Rouge ?

Pendant plus de vingt ans, Guelleh a pris soin de tailler sur mesure un entourage fidèle, usé jusqu’à la moelle, mais ô combien loyal. À force de mettre au placard tous ceux qui auraient pu avoir une once d’ambition ou d’autonomie, le chef de l’État se retrouve aujourd’hui avec une armée de retraités et de décorations poussiéreuses. Faute de vivier, il se tourne donc vers la pépinière familiale. Le népotisme, c’est l’assurance-vie des autocraties fatiguées. Le départ anticipé de Taher Ali Mohamed, général compétent et respecté, en dit long : on ne laisse pas la place au mérite quand la filiation dicte la hiérarchie. L’armée n’est plus un corps d’élite mais un organigramme de famille. Ceux qui rêvaient de république se réveillent dans une fresque à mi-chemin entre la tragédie shakespearienne et la série africaine à gros budget, sponsorisée par la Realpolitik française.

Une armée familiale, c’est plus rassurant

Si le colonel Ibrahim Zakaria prend la tête des forces armées, ce ne sera pas tant pour ses talents militaires que pour la solidité de son arbre généalogique. Une nomination que l’on imagine déjà enveloppée dans un discours ronflant sur la « continuité » et la « stabilité des institutions ». En clair : surtout, ne rien changer et garder le pouvoir bien au chaud.

Mais cette dérive n’est pas qu’un caprice dynastique. C’est un poison lent, qui ronge les fondations mêmes de l’État. Cette armée nationale, déjà transformée en une petite boutique familiale où les médailles se transmettent comme des montres à gousset, exclut systématiquement les communautés qui ne sont pas du « bon » bord.

Et surtout, elle creuse un gouffre béant entre le pouvoir et la population, qui observe ce bal d’uniformes consanguins depuis les gradins, privée de toute voix au chapitre, pendant que la Constitution prend la poussière et que le carnet de famille sert désormais de feuille de route. Le régime ne gouverne plus un pays : il gère une succession.

Silence, on hérite

Paris, Washington, les partenaires stratégiques… tout le monde semble regarder ailleurs. Après tout, Djibouti est stable, dit-on, tant que les bases militaires tournent et que le port fonctionne. Peu importe si la République devient un régime héréditaire sous uniforme, tant que les intérêts sont protégés.

Un Zakaria peut en cacher un autre, mais la démocratie, elle, ne se camoufle pas sous un képi. Il serait temps de le rappeler, avant qu’un colonel devenu général ne s’imagine président, dans un pays où la volonté populaire a déjà bien du mal à franchir les portes du Palais.

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