Djibouti et l’UNESCO : le patrimoine en attente, la volonté politique aux abonnés absents

Parvenir à inscrire un site ou une tradition à l’UNESCO ne relève pas seulement d’une démarche administrative. C’est un engagement fort, un acte de reconnaissance culturelle et souvent un levier diplomatique. Derrière chaque inscription se cache des années de travail : mobiliser des experts, impliquer les communautés locales, assurer une gestion durable… Mais à Djibouti, si les ambitions sont affichées, les actes, eux, peinent à suivre.

Un processus exigeant, une volonté politique indispensable

Que l’on parle de patrimoine naturel, bâti ou immatériel, l’UNESCO impose un processus rigoureux. Pour les sites, une inscription sur la liste indicative n’est que le début : il faut ensuite monter un dossier détaillé, prouver la valeur universelle exceptionnelle du lieu, garantir sa protection juridique et mettre en place un plan de gestion pérenne. Côté patrimoine immatériel, l’accent est mis sur la transmission vivante et l’implication communautaire.

En somme, il ne suffit pas de vouloir. Il faut se donner les moyens de ses ambitions.

Cinq sites en vitrine… et un tiroir bien fermé

Le 2 juin 2015, Djibouti a officiellement inscrit cinq sites sur sa liste indicative :

· le Lac Assal

· la faille du Rift

· les îles des Sept Frères

· les gravures rupestres d’Abourma

· la ville historique de Tadjourah.

Autant de trésors patrimoniaux aux potentiels indéniables, géologiques, archéologiques et historiques.

Et depuis ? Rien. Aucun de ces sites n’a fait l’objet d’un dépôt de candidature officiel auprès de l’UNESCO. Aucun plan de gestion validé. Aucune documentation complète soumise. Aucune protection juridique renforcée.

Pourquoi ce blocage ?

Officiellement, on évoque des freins techniques, des manques de moyens, des lenteurs administratives. Officieusement, plusieurs observateurs pointent une volonté politique tiède, voire absente. Certains accusent même les autorités de préférer maintenir un contrôle discret sur certains sites sensibles, où les enjeux économiques ou géopolitiques priment sur la transparence internationale qu’impliquerait une inscription à l’UNESCO.

Un haut fonctionnaire le confie :
« Il y a des dossiers qui dorment dans les tiroirs. On ne veut pas forcément attirer l’attention internationale sur certaines zones stratégiques ». Un autre ajoute :
« L’État aime brandir le patrimoine dans les discours, mais en pratique, le sujet reste secondaire face aux priorités du moment. »

Deux succès symboliques dans le patrimoine immatériel

Le tableau n’est pas entièrement sombre. Sur le plan du patrimoine immatériel, Djibouti a connu deux belles avancées ces dernières années :

  • En 2023, le Xeedho, une tradition somalie liée au mariage, a été inscrit sur la Liste de sauvegarde urgente du patrimoine culturel immatériel.
  • En 2024, le Xeer Ciise, code oral coutumier des communautés issas, a rejoint la Liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité, grâce à un dossier multinational porté avec la Somalie et l’Éthiopie.

Des succès rendus possibles par une dynamique différente : ici, ce sont les communautés elles-mêmes, soutenues par des experts régionaux, qui ont porté les projets. Le ministère de la Culture a suivi, mais les initiatives venaient du terrain.

Quand l’UNESCO peut transformer le regard sur un pays

Inscrire un site à l’UNESCO, c’est bien plus qu’une ligne sur une carte. C’est une reconnaissance qui attire des financements pour la préservation, une visibilité touristique, un surcroît de fierté nationale. Des pays voisins, comme l’Éthiopie ou la Somalie, l’ont bien compris et ont multiplié les candidatures réussies.

À Djibouti, les atouts existent, les sites sont là. Mais sans un véritable engagement politique et institutionnel, le rêve d’une reconnaissance mondiale restera lettre morte.

Le patrimoine attend. La balle est dans le camp des autorités.

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