Djibouti laisse brûler sa dernière forêt

Un incendie s’est déclaré lundi dans la forêt du Day, au niveau du mont Abayazid. Cette réserve naturelle, située dans le massif du Goda, abrite une biodiversité unique à Djibouti. Depuis lundi, les flammes progressent sans relâche pendant que les moyens engagés peinent à contenir l’urgence.

Un sanctuaire écologique devenu zone sinistrée

La forêt du Day est l’un des rares écosystèmes boisés de la Corne de l’Afrique. Refuges d’espèces relictuelles, parmi lesquelles le francolin de Djibouti, oiseau endémique classé en danger critique, elle constitue un patrimoine naturel d’exception. C’est aussi l’un des derniers poumons verts du pays, à près de 1 500 mètres d’altitude, où subsistent genévriers, oliviers sauvages et euphorbes géantes.

Ce joyau figure depuis 2015 sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais ce classement reste théorique. Sur le terrain, l’absence de protection effective, le désengagement étatique et les pressions anthropiques ont fait du site une forêt sous respirateur.

L’autre feu : celui du charbon

Car les flammes ne viennent pas toutes du ciel. Depuis des années, la forêt est grignotée, lentement mais sûrement, à coups de haches et de fours artisanaux. Faute d’alternatives économiques viables, des habitants du Day – pris en étau entre pauvreté chronique et marginalisation politique – abattent les arbres pour produire du charbon de bois, combustible encore massivement utilisé dans les foyers djiboutiens.

La coupe est illégale, mais tolérée. Et pour cause : elle compense l’absence totale d’investissements dans des politiques de développement durable dans la région. Ce n’est pas un choix de vie, c’est un pis-aller de survie. Le charbon nourrit les familles. Mais il alimente aussi, lentement, l’effondrement écologique.

Aujourd’hui, l’incendie qui ravage la forêt vient refermer ce cercle vicieux : précarité, surexploitation, négligence, puis destruction.

Visites en retard, moyens au rabais

Il aura fallu trois jours d’images virales, de vidéos amateur et de colère en ligne pour que les autorités se manifestent enfin. Une délégation officielle a fait le déplacement, bras croisés devant l’ampleur du sinistre. Constater, oui. Agir, beaucoup moins. Aucun plan de crise annoncé, aucune transparence sur les moyens engagés, encore moins sur la stratégie à venir.

Certes, des renforts sont sur place. Une centaine de pompiers, quelques hélicoptères, des militaires mobilisés. Mais le déploiement, aussi tardif que dispersé, trahit une vérité plus crue : l’improvisation règne. Pas d’avion-citerne, pas de coordination inter-agences, pas même une cellule de communication pour informer la population. On éteint ce que l’on peut, avec ce que l’on a — c’est-à-dire peu.

Ce bricolage opérationnel dit tout d’une hiérarchie des priorités où la forêt ne pèse rien. Une urgence nationale traitée comme un contretemps logistique.

Préserver un écosystème, c’est d’abord reconnaître sa valeur — pas seulement en hectares, mais en dignité humaine. Or ici, on laisse tout s’effondrer : les arbres, les espèces, les vies. Et pendant que le feu consume les racines, le pouvoir détourne le regard. Reste la fumée, épaisse, persistante, comme un voile sur une conscience collective qu’il serait temps de réveiller.

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