PND 2025–2030 : les promesses d’un tournant, les risques d’un mirage

À l’occasion du Conseil des ministres du 17 juin 2025, le président Ismaïl Omar Guelleh a dévoilé les grandes lignes du Plan National de Développement 2025–2030, présenté comme l’outil central de l’émergence économique à l’horizon 2035. Sur le papier, le PND veut corriger les insuffisances du précédent plan (2020–2024) et faire de la croissance djiboutienne une dynamique inclusive, durable et équitable. Mais derrière les slogans, les chiffres et les réalités du terrain appellent à la prudence.

Une stratégie ambitieuse… sur le papier

Décliné autour de quatre axes — diversification économique, développement du capital humain, résilience climatique et renforcement de la gouvernance — le nouveau PND se veut le levier central d’une transformation structurelle. Il s’inscrit dans la continuité de la Vision Djibouti 2035, tout en s’alignant sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine et les Objectifs de développement durable de l’ONU.

Le gouvernement revendique une décennie de progrès : le PIB aurait doublé entre 2013 et 2024, notamment grâce à l’essor du secteur portuaire et des infrastructures logistiques. Mais au-delà de la vitrine économique, le pays reste confronté à un chômage endémique, à des disparités territoriales persistantes et à une pauvreté structurelle. Selon les dernières estimations officielles, près d’un Djiboutien sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Des régions oubliées du développement

L’une des faiblesses structurelles que ce plan entend corriger est l’inégalité de répartition des richesses et des investissements. Car le développement s’est largement concentré sur l’axe stratégique reliant les ports de la capitale, délaissant les régions périphériques.

Dans certaines localités rurales, moins de 40 % des habitants ont accès à l’eau potable (source : UNICEF, 2021). Le taux de scolarisation au secondaire chute parfois en dessous de 35 % dans ces régions (source : Ministère de l’Éducation nationale, 2022), loin des chiffres de la capitale. Pourtant, c’est précisément dans ces régions que se joue l’avenir du pays en matière de stabilité, de cohésion nationale et de résilience climatique.

Le capital humain : talon d’Achille d’un développement durable

Le gouvernement met en avant la nécessité d’investir dans le capital humain. Un enjeu crucial, tant le système éducatif souffre d’un double déficit : de qualité et d’équité. L’enseignement technique et professionnel, censé répondre aux besoins du marché, ne concerne encore que 6 % des élèves du secondaire.

Et pendant que les discours évoquent « inclusion » et « équité », plus de 70 % des jeunes diplômés peinent à trouver un emploi stable, selon les estimations de l’ANEFIP (2023). Cette dissonance alimente un sentiment d’exclusion chez une jeunesse nombreuse et souvent déclassée, en particulier hors de la capitale.

Résilience climatique : entre annonces et urgence

Le PND affirme vouloir promouvoir un modèle durable, plus vert, résilient au changement climatique. Certes, plusieurs projets d’énergies renouvelables (solaire, géothermie, éolien) sont en cours. Mais les sécheresses récurrentes, la salinisation des nappes phréatiques et la dégradation des pâturages menacent directement les communautés agro-pastorales, notamment afar (source : FAO, 2022). Des annonces ne suffiront pas si elles ne s’accompagnent pas d’une politique foncière équitable, d’un appui réel à la mobilité pastorale et d’investissements concrets dans les services de base.

La gouvernance en pointillé

Autre angle mort du PND : la gouvernance. Si le document parle de « pacte collectif », rien n’est dit sur la transparence budgétairela participation citoyenne, ou encore le contrôle indépendant de la mise en œuvre. Le pilotage du plan restera entre les mains de l’exécutif, dans un environnement institutionnel où les contre-pouvoirs sont faibles et les données publiques rares.

Et que dire de la justice sociale dans un pays où près de la moitié du budget est engloutie dans de vastes projets d’infrastructure, tandis que certaines zones rurales attendent encore l’ouverture de leur tout premier centre de santé — ou, lorsqu’il existe, doivent composer avec un cruel manque de matériel et de personnel qualifié ?

Un plan pour qui ?

À la lumière de ces constats, une question demeure : le PND 2025–2030 sera-t-il un levier de justice sociale ou un énième plan technocratique sans ancrage populaire ?

Car à Djibouti, le défi n’est pas de produire des plans, mais de les appliquer au bénéfice de tous.

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