
Alors que les projecteurs du monde se détournent, la frontière entre le Tigré, en Éthiopie, et l’Érythrée est à nouveau en train de s’embraser. Deux ans après un accord de paix fragile, les tambours de la guerre résonnent de nouveau dans cette région meurtrie. Et cette fois, c’est la population de la région Afar — voisine du Tigré et frontalière de l’Érythrée — qui risque d’en faire les frais.
Une paix illusoire
Officiellement, le conflit tigréen s’est achevé en 2022 avec l’accord de Pretoria. Officieusement, les armées n’ont jamais totalement désarmé. En février 2025, l’Érythrée lance une mobilisation militaire. En réponse, l’Éthiopie redéploie ses troupes dans le nord du Tigré dès mars. Ce ballet militaire, loin d’être une simple démonstration de force, semble annoncer un affrontement imminent entre deux puissances qui n’ont jamais vraiment enterré la hache de guerre.
Le TPLF divisé, la région fracturée
Au cœur de ce regain de tensions, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) est lui-même secoué par une violente lutte interne. Depuis un coup de force en octobre 2024, deux factions s’opposent. La première, proche du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, est incarnée par Getachew Reda. La seconde, dirigée par Debretsion Gebremichael, entretient des liens troubles avec le régime érythréen d’Isaias Afwerki. Début 2025, Debretsion a repris le contrôle de Mekelle et d’Adigrat, deux villes clés du Tigré, dans une atmosphère explosive marquée par des affrontements internes et de nouveaux déplacements massifs de populations.
L’Érythrée, acteur central d’un conflit à venir
Si l’Érythrée affiche son silence diplomatique, elle multiplie les manœuvres en coulisse. Soutien actif à certains dissidents du TPLF, livraisons d’équipements militaires, présence renforcée le long de la frontière : Asmara semble préparer une offensive ou, à tout le moins, peser sur l’équilibre régional. Son absence des négociations de paix, en 2022, résonne aujourd’hui comme une menace suspendue.
L’Afar, territoire à haut risque
La région Afar, enclavée entre le Tigré et l’Érythrée, pourrait devenir le champ de bataille du prochain conflit. Déjà éprouvée par les vagues précédentes de violence, elle se retrouve à la croisée des ambitions militaires des deux camps. La crainte est palpable : que ses terres servent de couloir stratégique ou de zone tampon, et que ses habitants deviennent, une fois encore, les victimes silencieuses d’une guerre qui ne les concerne pas.
Depuis les campagnes de 2021, où plusieurs localités Afar ont été le théâtre d’affrontements meurtriers entre milices tigréennes et forces fédérales, la mémoire des atrocités reste vive : villages incendiés, populations déplacées, exactions impunies. Une reprise des hostilités ferait ressurgir ces plaies à peine refermées.
Des civils pris en étau
Dans les zones déjà sous tension, les populations vivent dans une peur latente. Le tissu social est fragilisé, les infrastructures médicales quasi inexistantes, et les femmes et enfants en particulier paient un lourd tribut. Violences sexuelles, famine silencieuse, déplacements forcés : la guerre au Tigré a laissé des cicatrices profondes. Une reprise des combats viendrait en amplifier la tragédie.
Le spectre d’une conflagration régionale
Analystes de la Chatham House, diplomates occidentaux, organisations humanitaires : tous s’accordent à dire que le Tigré est un foyer d’embrasement à haut risque. Une seule étincelle pourrait rallumer la mèche. Et dans une région où les lignes ethniques et politiques sont profondément entremêlées, la guerre pourrait rapidement déborder au-delà de ses frontières initiales, impliquant d’autres régions, d’autres peuples.
Un cessez-le-feu à bout de souffle
L’accord de Pretoria, déjà malmené, vacille. Entre luttes internes au sein du TPLF, ambitions expansionnistes érythréennes et stratégies militaires du gouvernement fédéral, la paix tient désormais à un fil. Le Tigré pourrait sombrer à nouveau — et avec lui, la région Afar risque de plonger dans le chaos.
Dans ce jeu de pouvoir et d’alliances troubles, ce sont toujours les mêmes qui paient le prix fort : les civils. Et parmi eux, les Afars — encore une fois, oubliés du monde mais exposés à tous les dangers.