
Dans les années 1980, la voix chaude et profonde de Fatouma Mansour traversait les ondes nationales comme une vague d’émancipation. Première femme afar, après Anissa Mohamed (Bilila), à monter sur scène dans une société encore figé dans les conservatismes, elle a bousculé les codes, conquis les cœurs et ouvert la voie à toute une génération de musiciennes. Aujourd’hui pourtant, celle que l’on appelait “la diva de Djibouti” vit dans l’ombre, oubliée d’un État qui l’a applaudie autrefois mais qui lui refuse désormais la reconnaissance matérielle qu’elle mérite.
Née en 1968 à Tadjourah, Fatouma découvre très tôt le chant dans les cérémonies traditionnelles afar. À 15 ans à peine, elle rejoint le groupe Egla Maqo, puis se produit avec Dinkara, fer de lance de la scène musicale djiboutienne post-indépendance. Elle s’impose grâce à sa voix puissante. En 1983, elle remporte le Prix Amina, avec sa chanson « Iyyi yoh Qaada ? » (“Qui entendra ma complainte ?”), un titre prémonitoire.
Fatouma Mansour devient une star. Elle tourne dans l’océan Indien et devient l’une des premières à porter la culture afar sur des scènes internationales, chantant l’amour, l’exil, la résistance, et la femme.
Une reconnaissance… de façade
En 2017, la République se souvient brièvement d’elle : un concert-hommage est organisé au Palais du Peuple pour financer ses soins médicaux. Le Premier ministre applaudit, la ministre de la Culture sourit… mais rien ne suivra. Aucun statut d’artiste honorifique, aucune pension, aucun droit d’auteur perçu régulièrement. L’État applaudit, puis oublie.
Aujourd’hui, Fatouma vit marginalisée, sans revenus tirés de son œuvre, sans maison de la culture qui porte son nom, sans archive publique recensant ses chansons. Pas même une retraite digne, alors qu’elle a représenté Djibouti sur les scènes du monde quand peu osaient encore se dire artistes dans ce pays.

Une injustice nationale
Comment une telle icône culturelle, pionnière féminine, peut-elle être reléguée ainsi à l’oubli ? Comment expliquer que ses chansons continuent d’être diffusées sans que le moindre franc de royalties ne lui revienne ? À Djibouti, les droits d’auteur restent un mirage, et les femmes artistes, souvent réduites à leur utilité décorative lors des fêtes nationales.
Fatouma Mansour est victime d’un système où les artistes ne sont ni protégés, ni indemnisés, encore moins les femmes rurales, encore moins celles qui ont défié les normes sociales. Son cas n’est pas isolé, mais il est symbolique. Une société qui laisse mourir ses artistes dans l’indifférence est une société en panne de mémoire.
Pour que sa voix ne s’éteigne pas
La justice culturelle ne devrait pas dépendre de la charité ni des hommages ponctuels. Il est temps que Djibouti reconnaisse institutionnellement Fatouma Mansour :
- Par une retraite honorifique à vie ;
- Pour reconnaissance de son statut de pionnière culturelle
- Par la création d’un fonds d’archives musicales nationales où ses œuvres seraient restaurées et diffusées ;
- Par la mise en place d’une société de gestion des droits d’auteur, afin que plus jamais un artiste ne soit dépossédé de son œuvre.
Fatouma a chanté pour son peuple. Aujourd’hui, c’est à ce peuple – et à l’État – de chanter pour elle. Avant que sa voix ne se taise à jamais.