À Konnaba, petite ville du nord-est de la région Afar, la colère gronde. Depuis plusieurs jours, la population manifeste contre la présence de combattants tigréens dissidents installés sur leur territoire. Les habitants parlent d’occupation et dénoncent des pratiques d’intimidation, des violences répétées, et surtout, une blessure symbolique : voir revenir sur leurs terres ceux-là mêmes qui, hier, avaient semé la guerre et la désolation.

Mekele : un sommet militaire qui vire à la fracture
Le sommet militaire de janvier, tenu à Mekele, capitale du Tigray, devait être une réunion de coordination stratégique. À l’agenda : la réorganisation de l’administration intérimaire dirigée par Getachew Reda, ancien porte-parole du TPLF, nommé après l’accord de Pretoria. Mais très vite, les divergences ont éclaté. Getachew Reda, déjà critiqué pour son manque de légitimité et son incapacité à rétablir l’autorité civile, a vu s’affirmer autour de lui un front de contestation.
Dans la foulée, le général de brigade Gebre-Egziabher Beyene annonçait la création de sa propre force armée, affirmant disposer de « quatre divisions » stationnées entre le Tigray et l’Afar. Une partie de ces troupes s’est en effet installée à Konnaba, imposant leur présence au cœur d’un territoire frontalier encore marqué par les stigmates de la guerre civile. Cette installation est vécue par les Afars comme une occupation déguisée, et comme le signe inquiétant que deux factions tigréennes rivales pourraient bientôt s’affronter directement sur leur sol.
Une région encore traumatisée et privée de reconstruction
Le Kilbatti rasu, Nord-est de la region Afar, a subi certains des pires épisodes de la guerre civile opposant le Tigray au gouvernement fédéral. Villages incendiés, massacres de civils, infrastructures détruites : les témoignages recueillis font état d’atrocités massives et de déplacements forcés. Trois ans après l’apaisement relatif du conflit, rien ou presque n’a été reconstruit.
Les écoles restent à l’abandon, les hôpitaux inexistantes, et les routes sont en ruine. Dans ce paysage de désolation, l’arrivée de nouvelles forces armées est perçue comme une double peine. « Nous avons résisté à la guerre, nous avons enterré nos morts, et voilà qu’ils reviennent pour nous humilier », s’indignait un sage de la ville de Konnaba.
La mémoire de la guerre reste vive : les Afars avaient farouchement résisté à l’avancée du Tigray et contribué à infliger une défaite militaire majeure aux forces sécessionnistes. Cette résistance a nourri une animosité durable. Aujourd’hui, la présence de soldats tigréens dissidents est interprétée comme une revanche, exercée au prix d’intimidations et de violences quotidiennes contre les habitants.

Une jeunesse en colère
Depuis plusieurs jours, les protestations se multiplient à Konnaba. Les manifestations, qui s’intensifient, sont marquées par un rejet frontal de la présence tigréenne. Des slogans exigent non seulement le retrait immédiat de ces forces, mais aussi une prise de position claire du gouvernement fédéral.
Or, c’est précisément ce silence qui inquiète. Addis-Abeba observe la situation avec une distance que beaucoup interprètent comme un abandon pur et simple des Afars. Pour les observateurs locaux, cette passivité est dangereuse : elle pourrait transformer la colère populaire en insurrection ouverte, précipitant la région dans une nouvelle spirale de violences.





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