Afar de la mer Rouge : un peuple en lutte face à l’oubli, l’exil et la dictature érythréenne

Le samedi 13 juillet, dans la ville éthiopienne de Semera, capitale de la région Afar, s’est tenue une conférence dont les répercussions pourraient être régionales. Le Red Sea Afar Democratic Organization (RSADO), groupe politique et militaire basé en Éthiopie, a convoqué une Conférence générale du peuple Afar de la mer Rouge, rassemblant exilés, chefs coutumiers, intellectuels et représentants associatifs. L’objectif était clair : lancer un appel formel à l’autodétermination, y compris par la sécession, face à la répression du régime érythréen.

« La lutte se poursuivra avec détermination jusqu’à ce que le régime du PFDJ soit démantelé, et que le droit à l’autodétermination du peuple Afar de la mer Rouge, y compris par la sécession, soit pleinement garanti. »

Ce passage sans ambiguïté du communiqué final, publié par le RSADO, marque un tournant stratégique majeur dans l’histoire contemporaine des Afars de la mer Rouge, un peuple transfrontalier oublié, victime collatérale de l’autoritarisme, de la géopolitique régionale et du silence international.

Une rupture ouverte avec l’Érythrée

Le RSADO, longtemps confiné aux marges de l’opposition érythréenne, s’affiche désormais en fer de lance d’un projet d’émancipation nationale afar. Le communiqué revient sur la trahison ressentie depuis l’indépendance érythréenne :

« Le peuple Afar de la mer Rouge, avec l’espoir qu’un système démocratique serait instauré en Érythrée, a combattu aux côtés des autres peuples. Mais le régime du PFDJ a, dès le départ, commis d’innombrables injustices à leur encontre. »

Depuis 1991, les Afars de l’Érythrée côtière subissent déplacements forcés, militarisation extrême, marginalisation linguistique et culturelle, jusqu’à devenir une diaspora de l’intérieur et de l’extérieur. Ils sont aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers dans les camps de Berahle et Aysaita en Éthiopie, à Djibouti ou encore au Yémen.

Le régime d’Isaias Afwerki, tout en prônant le slogan de « One people, one nation », mène une politique de centralisation ethno-nationaliste brutale, niant toute spécificité culturelle au nom de l’unité nationale. Le RSADO y voit une stratégie de dilution identitaire et d’ethnocide à bas bruit.

Vers un nouvel épicentre de tension en mer Rouge ?

La conférence de Semera s’est tenue dans un contexte régional électrique. Depuis les déclarations controversées du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed en octobre 2023, appelant à un accès direct à la mer Rouge, les tensions entre Addis-Abeba, Asmara et Djibouti n’ont cessé de croître.

Les Afars, peuple de la mer, se retrouvent au cœur de cette bataille silencieuse pour les côtes stratégiques. Le communiqué du RSADO ne l’ignore pas :

« Les préparatifs en cours pour faire de la région un champ de bataille ont déjà déplacé les populations Afars de la mer Rouge et fermé les frontières, exacerbant les souffrances. »

Le message est limpide : les Afars refusent d’être des pions dans la rivalité entre États. Ils revendiquent un droit historique et territorial sur leurs terres côtières, allant du cap Bori à Rahayta, et entendent le faire valoir à travers une lutte politique et militaire désormais assumée.

Un appel à la solidarité et à la reconnaissance internationale

Loin de s’enfermer dans une rhétorique victimaire, le RSADO propose un programme de mobilisation élargi. Le communiqué appelle :

  • les réfugiés afars à soutenir la lutte,
  • les forces politiques érythréennes à s’unir contre le PFDJ,
  • les États voisins à reconnaître la légitimité des revendications,
  • et la communauté internationale à condamner les violations et à garantir les droits fondamentaux des réfugiés.

« Nous appelons les pays voisins, la communauté internationale et les gouvernements à condamner ce régime barbare et à se tenir aux côtés du peuple érythréen. »

C’est une offensive diplomatique autant qu’identitaire. Le RSADO ne cache plus son ambition : faire des Afars de la mer Rouge un peuple reconnu, doté de droits, et capable de parler d’égal à égal avec les États.

Une cause afare dans un monde distrait

Pourquoi cette conférence n’a-t-elle pas fait les gros titres ? Peut-être parce qu’elle dérange. Elle rappelle que l’Érythrée n’est pas seulement un “pays-prison”, mais aussi une mosaïque de peuples opprimés. Elle souligne que les Afars, malgré leur marginalisation, peuvent devenir une force géopolitique. Et surtout, elle expose les failles du discours souverainiste d’Asmara : celui d’une unité nationale qui nie les droits des peuples.

Alors que le régime d’Isaias Afwerki, au pouvoir depuis plus de trente ans, s’enferme dans une logique autoritaire, la question afar pourrait bien être la fissure qui fera sauter le verrou.

“Nous confirmons notre disposition à faire les sacrifices nécessaires pour poursuivre et renforcer notre lutte”, conclut le communiqué.

À l’heure des grands équilibres brisés, la voix des Afars de la mer Rouge exige enfin d’être entendue.

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