Alexis Mohamed : la démission qui dit tout, mais qui ne convainc personne

La séquence frappe par son apparat déclamatoire : plan serré, ton mesuré, mais propos tranchants. Dans une vidéo diffusée sur sa page officielle ( https://x.com/AlexisMGueldon/status/1970039515550277892?t=Bkoyb9PsnrYaL0PgD4itxQ&s=19 )ce lundi 22 septembre, Alexis Mohamed, conseiller en communication du président Ismaël Omar Guelleh, annonce sa démission. Et il ne part pas en silence : il accuse. Recul démocratique, opacité des accords économiques et diplomatiques, marginalisation des institutions républicaines, gestion clientéliste et népotiste. Il dit ne plus pouvoir cautionner un pouvoir qui trahit ses propres lois et prépare, par une modification constitutionnelle, la candidature de Guelleh en 2026. « Ce n’est pas un coup de tête », assure-t-il, mais la conclusion d’une réflexion mûrie depuis deux ans.

À première vue, le geste a la gravité d’une rupture historique. Pour la première fois, un homme du premier cercle reprend publiquement à son compte ce que l’opposition, les ONG et la rue n’ont cessé de dénoncer. Pourtant la réception fut tout autre : scepticisme, ironie, colère même. Car Alexis Mohamed n’est pas un lanceur d’alerte mais un transfuge marqué par un lourd passif.

Le stigmate du renégat

Ancien opposant rallié en 2016, Alexis Mohamed n’a pas seulement rejoint le régime : il en a été l’un des défenseurs les plus acharnés. Devenu la voix de la présidence, il a fustigé ses anciens compagnons d’opposition et pris à son compte les versions les plus contestables du pouvoir.

L’épisode de Siyaru reste comme un stigmate. Huit civils afars tués par des frappes de drones de l’armée : Alexis, fidèle au palais, nie d’abord l’existence de ces frappes. Puis, devant l’accumulation de preuves, change de récit : ce n’étaient pas des civils, mais des combattants du FRUD. La Ligue djiboutienne des droits humains établira le contraire : il s’agissait bien de nomades. Cet épisode l’a durablement disqualifié auprès d’une partie de la population.

Le paradoxe d’une vérité démonétisée

Aujourd’hui, Alexis Mohamed dit vrai : oui, les institutions sont vidées de leur substance ; oui, la corruption est devenue système ; oui, l’État se confond avec un clan. Mais ce discours, porté par celui qui fut le communicant zélé du régime, perd sa valeur performative. Il ne déclenche pas de séisme, il provoque la suspicion.

Ce paradoxe est cruel : les mêmes phrases, prononcées par une personnalité intègre, auraient résonné comme un coup de tonnerre. Dans la bouche d’Alexis, elles ne font que réactiver la mémoire de ses volte-face. La vérité est exacte, mais le messager est disqualifié.

Rhétorique et temporalisation : une sortie calibrée

Le langage choisi n’est pas anodin. Parler de « recul démocratique » et de « marginalisation des institutions » mobilise un registre normatif, pensé pour résonner auprès de la communauté internationale et des partenaires étrangers. Insister sur une réflexion entamée « depuis deux ans » vise à prévenir toute accusation de caprice ou de calcul opportuniste. Mais la sophistication de cette mise en scène nourrit elle-même le soupçon d’une stratégie élaborée, plus qu’un élan de sincérité.

Entre sincérité et manœuvre

Dans ce contexte, deux lectures se disputent l’espace public :

  • celle d’un ras-le-bol authentique, face à l’accaparement croissant des ressources publiques par le clan présidentiel ;
  • celle d’une manœuvre orchestrée, destinée à fabriquer un « opposant de convenance » capable de donner l’illusion du pluralisme en 2026.

Ni l’une ni l’autre ne peut être tranchée pour l’heure. Mais dans les deux cas, une même conclusion s’impose : Alexis Mohamed ne possède ni la constance, ni la crédibilité pour incarner une alternative.

C’est là, au fond, la dimension tragique de cette démission : tout est dit, mais rien n’est ébranlé. Les accusations qu’il formule sont fondées, mais elles tombent à plat car celui qui les porte en a longtemps été le démenti vivant.

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