Djibouti durcit sa politique migratoire : les Éthiopiens dans le viseur
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Face à l’augmentation des flux migratoires, le gouvernement djiboutien a lancé un ultimatum aux migrants en situation irrégulière, leur enjoignant de quitter le pays avant le 3 mai. Une décision controversée, inefficace sur le terrain, et qui intervient dans un contexte diplomatique tendu avec l’Éthiopie.
Une décision unilatérale et brutale
Début avril, le ministre de l’Intérieur djiboutien a annoncé un décret fixant un délai d’un mois à tous les migrants sans titre de séjour pour quitter le territoire. Passée cette échéance, les autorités entendent procéder à des expulsions massives. L’ultimatum vise principalement les ressortissants éthiopiens, très nombreux à Djibouti, et fait suite à une hausse spectaculaire des arrivées en 2024 — près de 200 000 personnes ont transité par le pays, soit deux fois plus que l’année précédente.
Le gouvernement justifie sa décision par des motifs de sécurité et de santé publique. Mais cette explication, souvent reprise dans les milieux officiels, peine à convaincre. Aucun chiffre précis n’a été communiqué sur les délits imputables aux migrants. En réalité, l’initiative djiboutienne s’inscrit davantage dans une logique de signal politique adressé à la population intérieure et à ses voisins.
Une mesure contre-productive
Au-delà du caractère expéditif de l’ultimatum, sa faisabilité même interroge. D’un point de vue pratique, l’expulsion de dizaines de milliers de personnes se heurte à deux réalités.
D’abord, une dépendance structurelle : une large part des ménages djiboutiens emploient des migrants dans le bâtiment, le gardiennage, les petits commerces ou les travaux domestiques. En les expulsant, l’État risque de désorganiser un pan entier de l’économie informelle, sans solution de remplacement.
Ensuite, l’inefficacité structurelle : les frontières djiboutiennes, notamment avec l’Éthiopie, restent largement poreuses. Les migrants expulsés sont susceptibles de revenir par les mêmes voies, dans un cycle sans fin. La mesure, au lieu d’endiguer les flux, risque d’encourager la clandestinité et de renforcer les réseaux de passeurs.
Le poids de la géopolitique
Cet ultimatum intervient à un moment où les relations entre Djibouti et l’Éthiopie traversent une zone de turbulences. Addis-Abeba, affaiblie par des tensions internes persistantes et en quête de nouveaux débouchés maritimes, voit dans cette mesure une forme d’hostilité à peine voilée. En sous-main, certains observateurs y lisent un désengagement progressif de Djibouti vis-à-vis de son allié historique, sur fond de la problématique territorial qui oppose les communautés Afars et Somalis
À l’échelle régionale, l’Éthiopie, de plus en plus isolée diplomatiquement, apparaît affaiblie. Le durcissement djiboutien pourrait s’interpréter comme une volonté de prendre ses distances avec un voisin devenu moins stratégique, et d’envoyer un message politique à d’autres puissances de la région.
Entre impératif souverain et responsabilité morale
« Djibouti ne peut accueillir toute la misère du monde », a déclaré Alexis Mohamed, conseiller du président Ismaïl Omar Guelleh. Une formule empruntée aux classiques du souverainisme, mais qui occulte la responsabilité d’un État historiquement inscrit dans les flux migratoires de la Corne de l’Afrique.
Officiellement, des dérogations pourraient être accordées pour les cas les plus vulnérables. Mais dans les faits, les mécanismes de recours restent flous, et la crainte d’arrestations arbitraires est bien réelle pour les milliers de personnes concernées.
Loin de régler la question migratoire, cette politique de fermeté risque de fragiliser davantage une région déjà marquée par l’instabilité, tout en précarisant une main-d'œuvre devenue indispensable au fonctionnement quotidien de l’économie locale.