FMI–Djibouti : pansements budgétaires sur fracture sociale

Le FMI, à l’issue de sa mission annuelle à Djibouti conclue début juillet 2025, salue une croissance “robuste” et une inflation “contenue”. Plus qu’un constat lucide, le rapport du FMI tient d’un mantra technocratique, sourd aux réalités vécues par la majorité de la population. Une fois encore, l’institution internationale cautionne un modèle économique sous perfusion extérieure et adossé à une dette lourde,

Le rituel annuel du FMI : qu’est-ce qu’une “déclaration de mission” ?

Chaque année, les experts du FMI mènent une mission dite de “consultation au titre de l’article IV” dans chacun de ses pays membres. Ils rencontrent les autorités nationales, les institutions financières, et parfois la société civile pour évaluer la santé macroéconomique du pays. À l’issue de cette mission, ils publient une “déclaration des services”, premier jet d’analyse avant le rapport complet présenté au Conseil d’administration.

Ce document, bien que technique, oriente les politiques publiques : il conditionne l’accès aux prêts internationaux, sert de signal aux investisseurs, et surtout traduit les priorités du FMI en matière de discipline budgétaire, de libéralisation, et de réformes structurelles.

Autrement dit, il ne s’agit pas d’un simple diagnostic, mais d’un outil de pilotage indirect de l’économie djiboutienne, dans un cadre de dépendance croissante vis-à-vis des bailleurs multilatéraux.

Djibouti, port franc de la stabilité… géopolitique

Le FMI salue la “résilience” de Djibouti face à une conjoncture régionale troublée : guerre civile au Tigré, tensions en mer Rouge, ralentissement de l’économie éthiopienne. Il prévoit une croissance de 6,5 % en 2024, tirée par le transit maritime, la logistique et les services portuaires.

Mais ce rebond est conjoncturel plus que structurel : il repose essentiellement sur la position géostratégique du pays — porte d’entrée commerciale de l’Éthiopie enclavée — et sur les infrastructures construites à crédit dans les années 2010. L’économie reste peu diversifiée, les chaînes de valeur sont faibles, et les investissements productifs se font rares en dehors du corridor portuaire.

Ce que le FMI ne dit pas explicitement, mais valide en creux, c’est que la stabilité politique autoritaire de Djibouti est précieuse pour les puissances militaires implantées (États-Unis, France, Chine, Japon), ce qui en fait un “État pivot” toléré, voire soutenu, tant que les flux commerciaux et militaires ne sont pas perturbés.

Une croissance sans emplois, une dette sans transparence

Le FMI lui-même admet que cette croissance n’est ni inclusive ni créatrice d’emplois. Le secteur informel prédomine, la jeunesse reste massivement au chômage, et les disparités régionales sont criantes.

Surtout, l’économie est surendettée. La dette publique dépasse 70 % du PIB, avec des arriérés persistants vis-à-vis de créanciers bilatéraux et commerciaux. Le FMI appelle à finaliser les restructurations et à mieux encadrer l’endettement des entreprises publiques, mais sans jamais interroger la logique opaque et prédatrice qui a présidé à l’endettement massif de la décennie passée, notamment sous l’égide de la holding publique Great Horn Investment Holding (GHIH).

L’austérité pour les uns, les privilèges pour les autres

Le FMI salue les efforts d’assainissement budgétaire : réduction du déficit à 2,6 % du PIB, objectif d’équilibre budgétaire d’ici 2026. Mais derrière les chiffres se cache une pression croissante sur les classes moyennes et populaires : hausse programmée de la TVA, suppression progressive des subventions aux carburants, élargissement de l’assiette fiscale.

En parallèle, les exonérations fiscales accordées aux grandes entreprises, aux zones franches et aux holdings proches du pouvoir restent intouchées, malgré les “recommandations” du FMI. Le rapport évoque pudiquement la nécessité d’une réforme “équilibrée”, sans jamais pointer les inégalités fiscales ni les connivences politiques.

Réformer la gouvernance sans toucher au pouvoir

La déclaration du FMI applaudit la réforme de la gouvernance des entreprises publiques, avec la mise en place du SEPE (Secrétariat d’État à la Performance de l’État), un Code de bonne gouvernance, et la promesse de dividendes budgétaires. Mais ces promesses sont anciennes, et rarement suivies d’effet.

Les EPs djiboutiennes restent sous contrôle direct de l’exécutif, sans audit public indépendant, ni comptes consolidés. Leur gestion reste marquée par le népotisme, les conflits d’intérêts et l’opacité budgétaire.

Le FMI, qui exige rigueur comptable et gestion prudente, reste pourtant muet sur la responsabilité politique du régime dans ce système de prédation, préférant faire confiance à des indicateurs et à des “plans d’action” rédigés par les mêmes technocrates qui gèrent l’opacité.

Le FMI, arbitre économique ou complice discret ?

En évitant soigneusement les sujets sensibles — inégalités régionales, verrouillage démocratique, détournement des ressources —, le FMI s’inscrit dans une logique de “stabilité d’abord” : peu importe que le régime soit autoritaire, que la croissance soit inégalitaire, que la dette soit opaque, tant que les flux économiques restent contrôlés.

Cette posture n’est pas nouvelle. Elle traduit la place qu’occupe Djibouti dans le jeu global : petit État sous tutelle financière, stratégique pour les grandes puissances, verrouillé politiquement, et toléré économiquement.

Vers une fausse sortie de crise ?

La déclaration de juillet 2025 ressemble à un diagnostic bienveillant, mais creux. Elle alerte sans dénoncer, recommande sans contraindre, valide sans interroger. Le FMI ne propose pas un nouveau modèle pour Djibouti, mais une consolidation de l’ancien : austérité, discipline budgétaire, réforme fiscale, le tout sans démocratie ni redistribution.

Loin d’être un plan de transformation, ce rapport est un outil de normalisation. Il prépare Djibouti à redevenir “finançable” sur les marchés, au prix d’une paix sociale achetée à crédit, et d’un peuple exclu des décisions.

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