Hub stratégique ou économie sous perfusion ? Djibouti face à sa dépendance éthiopienne

L’Éthiopie veut s’émanciper. En quête d’un accès souverain à la mer, Addis-Abeba explore ouvertement des alternatives à Djibouti qu’il s’agisse d’Assab en Érythrée ou de Berbera au Somaliland. Si ce projet se concrétisait, c’est tout l’édifice économique djiboutien qui vacillerait. En 2023, 83 % des exportations de Djibouti étaient destinées à l’Éthiopie, soit 3,995 milliards USD (Observatory of Economic Complexity, 2023). Plus largement, 95 % du trafic portuaire djiboutien dépend des flux éthiopiens (Port de Djibouti SA, chiffres repris par la Banque mondiale,

Djibouti prospère tant que l’Éthiopie choisit ses quais. Mais que resterait-il si Addis-Abeba détournait ses flux ?

Un port façonné par un voisin enclavé

Depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, l’Éthiopie, devenue le plus grand pays enclavé du monde (120 millions d’habitants), s’appuie presque exclusivement sur Djibouti pour ses échanges internationaux. Chaque année, plus de 25 millions de tonnes de marchandises transitent par ce corridor vital (Banque mondiale, Ethiopia–Djibouti Corridor Diagnostic Study, 2023).

En 2023, la croissance djiboutienne de +7 % a été tirée presque entièrement par l’augmentation de 31 % du trafic portuaire (FMI, Article IV Consultation Report, janvier 2024). Autrement dit, l’économie de Djibouti est littéralement arrimée à la vitalité des exportations et importations éthiopiennes.

L’illusion d’une symbiose

Officiellement, cette relation est décrite comme une « complémentarité stratégique ». La réalité est plus asymétrique.

  • Djibouti encaisse les droits portuaires, mais n’a qu’un seul client majeur.
  • L’Éthiopie, elle, détient l’initiative : c’est elle qui décide où passent ses flux.

Si Addis-Abeba déplaçait ne serait-ce qu’une partie de son commerce vers Assab ou Berbera, Djibouti perdrait jusqu’à 1,5 milliard USD de revenus annuels (estimation Banque mondiale, 2023). Dans un pays déjà très endetté, les conséquences seraient immédiates : effondrement du budget, contraction du PIB et tensions sociales dans une économie où les services portuaires et logistiques dominent l’emploi.

Quand la dépendance s’inverse

La fragilité de Djibouti ne se limite pas à ses recettes portuaires : elle touche au quotidien des habitants.

  • Eau : depuis 2019, un aqueduc transfrontalier amène jusqu’à 100 000 m³/jour depuis la région éthiopienne d’Adigala (Xinhua News Agency, 2019 ; ONEAD).
  • Électricité : une large part de l’énergie consommée à Djibouti est importée d’Éthiopie grâce aux interconnexions régionales (IGAD, Regional Energy Trade Report, 2022).
  • Alimentation : fruits et légumes vendus sur les marchés djiboutiens proviennent massivement des zones agricoles éthiopiennes.

Ainsi, si Djibouti est vital pour le commerce extérieur éthiopien, Addis-Abeba est tout aussi vital pour la vie quotidienne djiboutienne.

Djibouti se présente comme un hub incontournable de la Corne de l’Afrique, mais cette puissance apparente repose sur une réalité fragile : la dépendance absolue à un seul voisin. Derrière les terminaux ultramodernes, c’est un pays sous perfusion, dont l’eau, l’électricité, la nourriture et les revenus portuaires dépendent de l’Éthiopie.

Or, Addis-Abeba a déjà affiché sa volonté de diversifier ses accès maritimes. La question n’est donc plus théorique : si l’Éthiopie tournait le dos à Djibouti, c’est tout l’équilibre économique et social du pays qui s’effondrerait.

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