
Dans le contexte politique et historique de Djibouti, l’organisation d’un forum visant à célébrer l’histoire somalienne semble, à première vue, un événement de nature académique et culturelle. Cependant, en examinant les subtilités de cette initiative, il devient évident que ce forum ne fait pas que promouvoir une histoire sélective, mais constitue un acte flagrant de manipulation historique. En revendiquant l’héritage des Sultanats d’Adal et d’Awsa, les organisateurs du forum effacent non seulement l’histoire des Afars, mais tentent également de s’approprier une part cruciale du patrimoine qui leur est étranger. Ce faisant, ils ne se contentent pas d’ignorer les réalités culturelles et historiques de Djibouti, mais perpétuent une négation systématique de l’identité et de l’histoire des peuples qui y résident depuis des siècles.
Une manipulation historique : entre omission et appropriation
Les Sultanats d’Adal et d’Awsa, qui occupaient une place centrale dans la région avant l’ère coloniale, sont indéniablement des éléments fondamentaux de l’histoire de la Corne de l’Afrique. Cependant, les associer uniquement à l’identité somalienne dans le contexte actuel de Djibouti revient à effacer l’identité des Afars, peuple autochtone de la région. Par cette appropriation sélective, les organisateurs du forum prétendent attribuer à une seule communauté ethnique l’héritage historique de toute la région, marginalisant ainsi les Afars et réduisant à néant leur légitimité historique.
Ce processus de réécriture de l’histoire, orchestré par les acteurs politiques en place, n’est pas une simple erreur de jugement. Il s’agit d’une tentative délibérée d’effacer l’héritage afar et de transformer Djibouti en un territoire exclusivement somalien, sous prétexte d’une appartenance ethnique homogène. La mise en avant de ces sultanats, dans ce cadre précis, relève donc davantage d’une stratégie politique que d’une simple exploration historique.
En cela, l’utilisation de la frise chronologique sur le site en question, qui place ces sultanats au cœur de l’héritage de Djibouti, dénature l’histoire et crée une fausse continuité historique, dont les ramifications dépassent la simple réécriture du passé. En s’appropriant ces héritages et en minimisant l’histoire des Afars, ce forum marque un point de rupture avec les normes internationales de respect de la diversité culturelle et historique.
La négation des résistances Afars à Djibouti : Entre appropriation et réécriture
L’histoire de Djibouti, marquée par une complexité ethnique et géopolitique profonde, semble aujourd’hui manipulée à travers des initiatives qui effacent délibérément les luttes historiques et les résistances des peuples autochtones, en particulier les Afars. L’organisation d’un forum prétendant prôner l’histoire somalienne tout en s’appropriant des héritages comme ceux des Sultanats d’Adal et d’Awsa, en plus d’ignorer l’histoire des résistances afar, témoigne d’une volonté manifeste de réécrire le passé au profit d’un narratif unitaire et somalien. Cet affront à l’histoire et aux luttes des Afars ne se limite pas seulement à la présentation biaisée des événements historiques, mais inclut également une minimisation flagrante de la résistance farouche menée par le Sultanat de Gobaad, qui, bien avant l’implantation coloniale, occupait toute la région du sud de Djibouti.
Une histoire effacée : le Sultanat de Gobaad et la résistance afar
La réécriture de l’histoire opérée dans ce forum ne s’arrête pas à une simple appropriation des héritages des Sultanats d’Adal et d’Awsa. Elle inclut également l’oubli stratégique du Sultanat de Gobaad, qui joua un rôle essentiel dans la résistance contre l’invasion coloniale et dans la préservation de l’intégrité territoriale des Afars. Le Sultanat de Gobaad, basé dans l’entièreté sud de Djibouti, occupait une vaste portion du sud du pays, un territoire que l’on associe aujourd’hui à tort exclusivement aux Issas, sans mentionner le rôle central des Afars dans cette région.
L’éradication de cette mémoire est symptomatique d’un processus de domination qui cherche à effacer l’identité et les résistances de tout un peuple. Le Sultanat de Gobaad fut l’un des piliers de la résistance contre l’expansion des puissances coloniales, notamment contre les troupes françaises. L’histoire de cette résistance est non seulement minimisée, mais parfois complètement absente des discours officiels qui prévalent à Djibouti aujourd’hui. En laissant de côté cette mémoire, les organisateurs de ce forum refusent d’admettre la réalité d’une résistance farouche, qui ne se limitait pas à la simple survie, mais bien à une lutte pour préserver l’héritage, la culture et les terres des Afars face aux invasions extérieures.
La colonisation française et l’installation des Issas : un moment de rupture
Pour comprendre l’enjeu de cette réécriture historique, il est impératif de replacer le rôle de l’installation des Issas dans le contexte de la colonisation française. Avant 1880, les Issas n’étaient pas présents dans la région d’Ali Sabieh. Cette zone, habitée majoritairement par les Afars, fut largement intégrée dans l’Empire colonial français par le biais d’une politique d’installation d’autres groupes ethniques, dont les Issas, dans une logique coloniale de déstabilisation et de « diviser pour mieux régner ».
L’installation des Issas dans la région d’Ali Sabieh, décidée par les autorités coloniales françaises dans les années 1880, fut un acte stratégique visant à affaiblir la résistance afar en fragmentant l’unité territoriale et ethnique de la région. Ce processus colonial a souvent été minimisé dans les discours officiels actuels, alors qu’il marque une véritable rupture dans l’histoire des Afars, en modifiant de manière significative les dynamiques sociales, politiques et territoriales de Djibouti.
Les Issas, sous l’égide coloniale, ont donc été installés dans une région auparavant dominée par les Afars, créant un mélange de tensions ethniques qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Cependant, ces transformations géopolitiques et sociales sont souvent ignorées ou déformées, comme si la présence des Issas dans ces régions était naturelle et incontestable. En réalité, cette installation forcée fut un des instruments utilisés par les Français pour contrôler et fragmenter les populations locales.
Le discours de Mahmoud Ali Youssouf : entre assimilation et négation de l’histoire afar
L’invocation de Mahmoud Ali Youssouf dans ce contexte ajoute une autre couche à cette dynamique de réécriture historique. Président de l’Union Africaine ancien ministre des Affaires étrangères de Djibouti et figure de proue de la politique actuelle, il a exprimé son identification à la communauté somalienne malgré son origine Afar. Dans son discours, a l‘ouverture du forum Héritage, il s’est clairement présenté comme étant somali.
Lors de la campagne présidentielle, il déclare que le triangle Afar Sidacamo est “un rêve” et “des chimères”. En qualifiant le sidicamo, pourtant bien réel de « chimères », il donne à entendre que les aspirations des Afars à une reconnaissance légitime de leur culture, de leur histoire et de leurs droits sont illusoires. Ce discours n’est pas simplement une affirmation politique, mais une entreprise systématique d’effacement de l’identité afar, dont les racines et les traditions sont profondément ancrées dans la région.
La position de Mahmoud Ali Youssouf, un homme Afar, qui se présente comme un Somalien dans un cadre politique où l’histoire de Djibouti est manipulée, ne fait qu’illustrer un phénomène plus large de domination politique et culturelle. Ce discours, censé incarner une unité nationale, se transforme en une volonté d’assimilation forcée, un déni de l’histoire et des droits des Afars, un peuple qui, malgré sa place ancestrale dans cette région, se voit constamment relégué au second plan, réduite à une seule vision irrédentiste et ethnocentrique Somali-Issa. Le fameux Somali Ayka de Siad Barré.
L’Affront aux normes internationales : la mise en péril de la pluralité historique
Sur le plan international, cette réécriture de l’histoire et cette tentative de marginalisation des Afars vont à l’encontre des principes fondamentaux de reconnaissance des droits des peuples autochtones et du respect de la diversité culturelle. L’effacement d’un peuple au profit d’un autre constitue une violation manifeste de l’obligation de préserver et de valoriser les identités culturelles multiples. Le monde contemporain, à travers ses organismes comme l’ONU et l’UNESCO, défend une approche inclusive et plurielle de l’histoire, dans laquelle chaque communauté doit pouvoir revendiquer son héritage sans craindre d’être effacée par une autre. En manipulant à ce point l’histoire, Djibouti ne fait pas que réécrire son passé : il compromet la coexistence pacifique et harmonieuse de ses divers peuples.
L’organisation de ce forum, loin d’être une simple initiative culturelle, s’apparente à une manœuvre politique visant à promouvoir un narratif unilatéral, au détriment de l’histoire plurielle de Djibouti. Cette entreprise de réécriture sélective est dangereuse à double titre : d’une part, elle nivelle les identités culturelles et d’autre part, elle fragilise le tissu social de Djibouti, en exacerbant les tensions ethniques et en cultivant une vision monolithique de l’identité nationale.
Conclusion : Le danger d’une histoire fabriquée
L’histoire, loin d’être un simple reflet du passé, est un terrain de pouvoir. À travers cette manipulation, Djibouti risque de se couper de la richesse de son propre héritage, en sacrifiant l’histoire des Afars pour en promouvoir une version réductrice et assimilée, qui sert les intérêts d’un groupe au pouvoir. L’effacement d’une histoire est non seulement une violence symbolique, mais également une porte ouverte à l’intolérance et à la division.
L’enjeu est clair : il ne s’agit pas seulement de défendre l’histoire des Afars, mais de défendre une conception inclusive de l’identité djiboutienne, où toutes les communautés, Issas, Afars, Arabes et autres, peuvent s’épanouir dans le respect et la reconnaissance mutuels.



T’aaxaguk badit macay akah nannom?
Kasle luk mari naftok neh macaay kah’yam?
Midri luk nanu kah gaba mayuh nannom!
Cannaka maca nabtee nee wadir mimil?
Koqsoy itta mari’ellewaa macah nekkee?