
Ce 21 août 2025, Tadjourah a connu une effervescence inhabituelle. Le président en personne, flanqué d’une délégation imposante, est venu inaugurer un centre de dialyse de… sept lits. Une cérémonie digne d’un sommet diplomatique pour un établissement modeste, financé non pas par l’État, mais par la Fondation Saad Omar Guelleh du nom du frère défunt du chef de l’État.
D’où ce malaise persistant : s’agissait-il d’un acte républicain, au nom de l’intérêt général, ou d’un hommage familial travesti en événement national ?
L’utilité immédiate du centre n’est pas contestable. Pour les malades jusque-là condamnés à rallier la capitale au prix d’un épuisement physique et financier, ces sept lits représentent un soulagement concret. Mais derrière l’émotion sincère des bénéficiaires, les discours officiels, martelant la gratuité des soins, avaient un arrière-goût de campagne électorale anticipée. On parlait moins de santé publique que de fidélisation électorale. Comme si l’accès aux soins relevait d’une faveur présidentielle, et non d’un droit citoyen.
L’hôpital fantôme et le port désert : la malédiction des grands chantiers
Tadjourah n’en est pas à sa première « grande avancée ». En janvier dernier, l’hôpital régional Dr Bourhan Mohamed Aref avait été inauguré avec tambours et trompettes, promis comme un pôle sanitaire moderne. Huit mois plus tard, le constat est accablant : services réduits à la portion congrue, équipements déjà défaillants, pénurie de personnel. Une coquille vide, née d’une obsession : couper le ruban au plus vite, sans se soucier de la durabilité.
Le parallèle avec le port de Tadjourah est cruel. Conçu pour désengorger Djibouti-ville, il n’a accueilli aucun navire depuis sept mois, tandis que le port principal suffoque sous la congestion.
Le centre de dialyse de Tadjourah risque de suivre la même trajectoire. Sept lits ne suffiront jamais à répondre aux besoins régionaux. Sa survie dépendra de conditions que la cérémonie n’a pas évoquées : personnel qualifié, consommables coûteux, maintenance technique, budgets pérennes. Tout ce qui relève d’une politique publique planifiée. Au fond, chaque inauguration suit le même scénario : un président entouré de dignitaires, une population convoquée pour applaudir, une presse locale transformée en caisse de résonance. Le spectacle est assuré, la gestion reste en coulisses, et souvent, elle fait défaut.
Quand le droit devient une faveur
Ce qui est encore frappant, ce n’est pas seulement la modestie du projet comparée au faste de son lancement. C’est la manière dont on demande à une population d’applaudir un minimum vital comme s’il s’agissait d’un privilège exceptionnel. L’accès aux soins, droit fondamental, se trouve grimé en « cadeau présidentiel ». Et en applaudissant des évidences, on se condamne à ne plus exiger l’essentiel.




